Diedouchka vient de prendre une grande décision. Une décision de celle qui font basculer la suite des événements, la suite de sa vie.
Il a décidé d'arrêter les traitements. Devant les complications inattendues suite à la seule séance de chimiothérapie tentée début décembre, devant la fatigue incommensurable, la faiblesse, la dégradation, la douleur, devant les appels au SAMU, les heures passées aux urgences, devant les hospitalisations à répétition du mois de décembre, il ne veut plus.
Il ne veut plus retenter de chimiothérapie, ni même de radiothérapie. La maladie et les traitements ont eu raison de sa volonté.
Aurait-on pu l'imaginer cet automne lorsque nous cherchions des champignons ensemble et qu'il semblait si en forme ? Non, rien ne laissait supposer ce mois de décembre.
La suite va s'imposer d'elle-même. La vie va s'éteindre petit à petit... Il faut se rendre à l'évidence mais on ne sait pas quand : 1 mois ? 3 mois ? 6 mois ? Peut-on rêver un an voire plus ?
Et puis un soir de semaine, alors que je passais à Elancourt et que Tata Nat y était, il y a eu ce papier que Diedouchka m'a demandé de lire à voix haute : ses dernières volontés.
Des dernières volontés que je n'ai pas comprises à la première lecture, pour lesquelles j'ai posé au moins dix questions pour les faire clarifier, pour lesquelles j'ai reformulé quinze fois de façons différentes pour... pourquoi ? pour rendre acceptable l'inaudible ? pour faire réagir Babouchka et Tata Nat devant ce qu'impliquent ces volontés ? pour accepter moi-même ? pour espérer que mes reformulations le feraient changer d'avis ? je ne sais pas.
Les choses sont claires : dès son dernier souffle, nous n'aurons plus le droit de le voir. Nous ne le verrons plus. Il faudra accepter qu'il n'y aura ni adieux, ni recueillement, ni enterrement. Un dernier soupir et c'est comme s'il était déjà poussière. Seul, sans accompagnement, sans soutien : c'est ainsi qu'il veut partir.
Mon père était un homme solitaire, qui se livrait peu. On aurait pu penser qu'en dehors de sa famille et quelques rares personnes, il appréciait peu les gens. Je me suis toujours doutée qu'il voulait des funérailles intimes. Je l'imaginais sans aucun doute excluant les connaissances, les amis, les voisins, peut-être même ses quatre frères et soeurs. Mais je n'ai jamais imaginé qu'il pourrait exclure sa femme, ses deux filles et ses petits enfants. Des funérailles intimes, c'était une évidence mais là, c'est plus qu'intime ! Seul. Seul dans la pièce où il mourra. Seul dans le véhicule funéraire qui l'emmenera dans un chambre funéraire où il restera seul aussi pendant plusieurs jours. Seul pour la crémation Seul, seul, seul !
Cela fait quand même beaucoup réfléchir... pour qui sont les funérailles ? Appartiennent-elles au défunt qui peut les organiser comme il veut ou bien aux proches ? Ces moments après la mort, ces cérémonies, ces rites, ces rassemblements ne servent-ils pas plutôt aux vivants comme une étape pour accepter et avancer ensuite ?
Quoiqu'il en soit, j'essaie de visualiser la suite : j'imagine un jour l'hôpital qui m'appelle pour m'annoncer sa mort, ou peut-être est-ce ma mère, que l'hôpital aura appelée avant et qui me l'annoncera. Et voilà. Tout sera fini. Je ne sais pas quoi en penser. Je crois que j'ai peur. Peut-être faut-il faire confiance à la vie qui reste, même s'il n'en reste pas beaucoup ?
Je soussigné, Henri Joseph Pilewski, né le 15 janvier 49 à Cagnac-les-Mines (Tarn) déclare ce qui suit comme étant mes dernières volontés. Quel que soit le lieu où surviendra mon décès, je veux que ma dépouille soit immédiatement transférée dans le funérarium d'un crématorium.
Je ne souhaite pas que mon corps soit exposé au recueillement et encore moins à la visite de qui que ce soit. Je désire une crémation sans cérémonie aucune (religieuse, familiale, républicaine, civile...) et sans la présence physique de qui que ce soit de mon entourage ou de l'extérieur du cercle familial. Seulement après la crémation, si vous le souhaitez, vous pourrez, par les moyens qui vous seront pratiques prévenir les personnes que vous jugerez utiles.
Pas de fleurs, pas de pleurs.
Je ne suis pas opposé à un prélèvement d'organe.
Fait à Elancourt le 9 mai 2021 - H. Pilewski